La médecine chirurgicale s’affranchit des distances grâce à la fibre optique
Publié le 12 mars 2019

La médecine chirurgicale s’affranchit des distances grâce à la fibre optique

Le 7 septembre 2001 a lieu la toute première téléchirurgie transatlantique assistée par ordinateur. Une avancée mondiale menée de bout en bout par son capitaine de bord, le Professeur Jacques Marescaux, pionnier de la chirurgie robotique et président fondateur de l’Institut de Recherche contre le Cancer de l’Appareil Digestif (IRCAD). Rendue possible par la mise à disposition d’une connexion optique dédiée par l’opérateur historique France Telecom et la présence de câbles de fibres optiques sous-marins reliant l’Amérique du Nord à la France, elle préfigure alors l’avenir de l’e-santé. Explications.

Docteur en chirurgie depuis 1977, Jacques Marescaux met au point sa propre technique chirurgicale mini-invasive dans les années 90. Impliquant l’utilisation conjointe de la robotique, d’un système d’imagerie vidéo et d’un endoscope agrémenté de micro-instruments chirurgicaux, de manière à limiter le traumatisme postopératoire, cette nouvelle approche permet d’améliorer par ordinateur les gestes effectués par le chirurgien installé devant l’écran de la console robotisée.

C’est donc dans l’objectif de mêler médecine de pointe et transmission numérique que celui-ci fonde en 1994 l’Institut de Recherche contre les Cancers de l’Appareil Digestif (IRCAD), au cœur même de l’enceinte du CHU de Strasbourg. Animé par le besoin de transmettre, il y fonde également un centre de recherche en télé-chirurgie (European Institute of Tele-Surgery) de 8000 m2, accueillant laboratoires, blocs opératoires et amphithéâtres superéquipés.

Mariage annoncé du scalpel et de la souris

Conscient de l’incroyable potentiel des technologies numériques et plus largement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) ainsi que des futurs réseaux de communication de par le monde, celui-ci envisage, en effet, de pouvoir déplacer le centre de pilotage hors du bloc opératoire et ainsi solliciter plusieurs experts simultanément bien que distants de plusieurs milliers de km les uns des autres.

Certain qu’il faut être déraisonnable pour imaginer et concevoir la médecine de demain, il est l’homme des grandes premières. C’est ainsi qu’il métamorphose le milieu chirurgical, lorsqu’en 2001 celui-ci procède, depuis New-York, à l’ablation de la vésicule biliaire d’une patiente située à Strasbourg, à l’aide du télémanipulateur « Zeus », fleuron du leader mondial de la robotique chirurgicale Computer Motion. Baptisée « Opération Lindbergh », cette intervention télé-chirurgicale fait écho à l’exploit réalisé par Charles Lindbergh le 21 mai 1927, date à laquelle l’homme entre dans la légende en devenant le premier pilote à relier, sans escale et en solitaire, New York à Paris en seulement 33 heures et 30 minutes à bord du « Spirit of Saint Louis ».

Un défi technologique

Une telle prouesse pose un premier défi d’ordre technologique. En effet, les données transmises par la caméra endoscopique (informations vidéo) devaient effectuer un aller-retour de près de 15 000 km sans qu’il y ait le moindre décalage entre le geste effectué par le professeur installé devant la console du robot à New-York et sa reproduction par « Zeus » à Strasbourg. Or, plus la distance entre le chirurgien et son patient croît, plus les contraintes liées au réseau de communication gagnent en importance. Fort heureusement, une partie du réseau mondial actuel de câbles de fibres optiques reliait d’ores et déjà l’Amérique du Nord à l’Europe, jalonnant les fonds sous-marins afin de transporter le signal numérique par la lumière, c’est-à-dire 10 fois plus rapidement qu’un câble conventionnel (cuivre, coaxial).

Une nouvelle route faite de verre et de lumière dont le cœur d’à peine 2 cm de diamètre comprend 6 fibres optiques, protégées par une armature de câbles en acier, recouverte d’un tuyau de cuivre autour duquel se greffe un élastomère (matériau doué d’élasticité caoutchoutique). Une infrastructure d’excellence à Très Haut Débit (THD), qualitative, fiable, évolutive et pérenne, dont la performance avérée rend possible un délai constant et inférieur à 155 millisecondes entre le geste du chirurgien et le retour de l’image. Elément clé de la réussite de cette opération, la fibre optique relie aujourd’hui tous les continents.

Réalisée conjointement par l’IRCAD, en la personne du professeur et chirurgien émérite, et par l’opérateur historique France Telecom (Orange), l’opération doit son franc succès à l’expertise de la vingtaine d’ingénieurs mobilisés à cette occasion. 4 à Strasbourg, 4 à New-York et 1 tous les 500 km de distance, afin d’assurer une « Qualité de Service » (QoS) continue pendant toute la durée de l’opération. Il s’agissait, en effet, de garantir la sécurité et la rapidité des transmissions de données de bout en bout. Cette avancée est sans précédent.

Un symbole particulièrement fort pour l’auteur de ce projet transatlantique car il aboutit « au concept de mondialisation du partage du geste chirurgical », ouvrant la voie à de nouvelles perspectives en termes d’apprentissage comme d’enseignement. Ce pourquoi ce premier succès préfigure également l’avenir de la chirurgie elle-même et de ses multiples domaines d’application (vasculaire, digestive, infantile, esthétique, faciale, ophtalmologique, urologique).

L’e-santé, demain

Membre du Conseil scientifique de l’Association française de chirurgie depuis 1986 et de la Société européenne de télémédecine depuis 1997, le fondateur de l’IRCAD œuvre depuis plus de 40 ans en faveur de l’utilisation du numérique dans le domaine de la chirurgie (réalité virtuelle et réalité augmentée) associées à la robotique chirurgicale, contribuant ainsi à faire rayonner la « French Excellence » outre-mer. C’est d’ailleurs pour « l’accomplissement de son œuvre chirurgicale » que ce dernier se voit récompenser du plus prestigieux Award que la Société Américaine de chirurgie et d’endoscopie gastro-intestinale (SAGES) puisse remettre, lors du Congrès mondiale de chirurgie, à Washington en 2010. Trois ans plus tard, il est consacré « Personnalité numérique de l’année 2013 » par les anciens élèves de Télécom ParisTech, dans le cadre de la 15ème édition du Prix des Technologies Numériques.

Fort de ses nombreux succès, c’est avec passion que durant cette décennie ce dernier poursuit son œuvre chirurgicale en exportant son expertise à l’international. Il créa ainsi 3 instituts jumeaux de l’IRCAD, à travers le monde : l’IRCAD Taïwan en 2008, l’IRCAD America Latina (à Barretos, Sao Paulo en 2011 et à Rio de Janeiro en 2017).

Appelé à s’implanter en 2019 sur le continent africain à Kigali, au Rwanda, l’IRCAD incarne en outre un lieu dédié à l’intelligence collective où d’ores et déjà des dizaines de milliers de chirurgiens du monde entier sont venus se familiariser avec les nouvelles pratiques chirurgicales laparoscopiques et mini-invasives, suivre une opération en live, rencontrer des experts de renom et passer de la théorie à la pratique dans le bloc expérimental, que possède le centre strasbourgeois, (et) prévu à cet effet.

Ainsi, l’interconnexion progressive des établissements de santé à travers le monde, au moyen de réseaux de communication équipés en fibre optique, constitue un enjeu stratégique crucial pour l’avenir de l’e-santé car ils favorisent à la fois le développement de l’e-médecine et de la téléchirurgie mais également la diffusion des savoirs, le partage de connaissances et l’apprentissage à distance au moyen d’outils numériques dédiés à l’enseignement.

Adeline M.

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