Depuis sa première représentation au XVIIe siècle, l’art lyrique continue aujourd’hui de bouleverser des millions de spectateurs. À la fois musical et théâtral, l’opéra est un voyage émotionnel qui cherche à se moderniser afin de se détacher de cette étiquette « classique » voire « élitiste » qui lui colle à la peau. Et si le numérique était l’une des clés pour se réinventer ?
Si le spectacle vivant a longtemps été réticent à utiliser le digital, celui-ci semble désormais s’offrir une place sur le devant de la scène. Accompagné par la transformation numérique de notre société, l’opéra s’ouvre peu à peu aux innovations technologiques pour s’aventurer en dehors des sentiers battus.
Par ailleurs, l’épidémie de Covid-19 a poussé de nombreuses structures culturelles à repenser leur offre. Avec près de deux tiers des spectacles annulés en 2020, elles n’ont eu d’autre choix que de proposer une alternative digitale. Il s’agit de maintenir la culture, au rôle trop souvent sous-estimé, mais également de pallier les inquiétudes des professions qui façonnent l’opéra.
Avec une telle contrainte sanitaire et l’envie de se renouveler, 2021 sera-t-elle l’avènement des spectacles numériques ?
Pour continuer sa diffusion malgré la fermeture des salles, le monde de l’art lyrique français s’est mobilisé afin de trouver de nouvelles solutions.
Avec près de 50 millions de perte due à l’annulation des représentations, l’Opéra de Paris a choisi de lancer une plateforme de diffusion en décembre dernier. En complément des spectacles produits depuis 2012, l’institution promeut ses dernières captations, ses ateliers et cours en ligne, ainsi que ses masterclass. Baptisée « Opera chez soi » cette nouvelle offre lui permet de poursuivre son activité dans les meilleures conditions possibles, tout en proposant des nouveautés et des exclusivités à son public.
Concernant les prix, ceux-ci sont variables mais restent situés à 10 ou 15 euros. L’opéra se veut abordable pour inciter son public à découvrir la plateforme mais aussi pour séduire une nouvelle cible, plus jeune et inhabituelle. Pour l’institution, il s’agit « de trouver un modèle économique qui permet de valoriser les œuvres diffusées et de répondre aux craintes exprimées par les artistes invités, par les artistes maison et par des producteurs dont la diffusion gratuite dévalorise le produit créatif et leur interprétation de l’œuvre. » a déclaré Martin Ajdari, le Directeur Général adjoint de l’Opéra de Paris, lors d’une conférence presse le 20 novembre dernier.
Si « Opera chez soi » est toujours en phase expérimentale, l’Opéra de Paris n’est pourtant pas à son coup d’essai en matière de numérique. Pendant le premier confinement, celui-ci avait diffusé, de manière gratuite, un spectacle hebdomadaire depuis son site internet et sa page Facebook. Pour la structure culturelle, il s’agissait avant tout de faire découvrir l’art lyrique au plus grand nombre, tout en maintenant un lien avec son public habituel. Succès garanti puisque ce sont plus de 2,5 millions d’internautes qui ont suivi les représentations !
Le 13 novembre 2020, l’institution a présenté trois de ses dernières créations lors d’un Facebook Live. Avec le tarif très accessible de 4,95 euros, le spectacle en ligne a généré 8 500 achats, soit une recette de 38 000 euros. Une somme que l’Opéra de Paris n’a pas hésité à réinvestir dans l’amélioration de ses services de captation d’image et de diffusion en streaming.
La plateforme « Opera chez soi » constitue ainsi la suite logique de ces expérimentations numériques. Aux côtés de ses autres dispositifs Aria (application ludique et fun pour découvrir le monde de l’opéra) et 3ème Scène (espace filmique en ligne pour découvrir films et artistes autour de l’opéra), l’Opéra de Paris compte bien étendre son offre en diversifiant ses contenus et ses moyens de diffusion.
Pour autant, l’institution ne compte pas substituer ses spectacles physiques par le numérique. Comme le souligne Martin Ajdari « Cette expérience est unique et irremplaçable » mais le digital permet une plus grande accessibilité tout en élargissant le champ des possibles en matière de scénographie.
La crise sanitaire a incontestablement poussé l’opéra à se digitaliser. Mais est-ce la seule raison ?
La transition numérique globale impacte l’ensemble de notre quotidien : travail, commerce, loisirs… Le monde de la culture n’a pas manqué de faire appel aux nouvelles technologies aussi bien pour améliorer la qualité de service en salle, que pour la création de nouveau décor, l’automatisation des sons et lumières ou encore la médiation.
En ce sens, la plupart des opéras sont équipés de la fibre optique afin d’intégrer ces nouveaux usages connectés. Contrairement à l’ADSL, la technologie optique délivre un débit nettement supérieur allant jusqu’à plusieurs gigas pour des salles de spectacle. Avec de telles capacités, les opéras ont ainsi la possibilité de connecter une multitude de systèmes intelligents entre eux, sans latence ou interruption. De par sa puissance, la fibre veille à la fluidité de ces nouveaux dispositifs.
En Autriche, par exemple, le Wiener Staatsoper intègre depuis 3 ans un système de sous-titrage en six langues au niveau des écrans disposés sur les sièges de la salle. Ces mêmes tablettes donnent aussi accès aux informations des spectacles. Prochainement, l’institution prévoit la mise en place d’un système de commandes de boissons et snacks pour l’entracte.
Au théâtre de l’Opéra de Rome, le décor de Fra Diavolo a entièrement été réalisé par impression 3D. Un travail impressionnant qui a nécessité la mobilisation de cinq imprimantes pendant 3 mois, sans interruption. Au total, ce sont les 223 pièces sorties de ces machines qui ont formé la façade de l’auberge. Léger, détaillé et sur-mesure, le décor a fait sensation aussi bien auprès du public que des techniciens, pour qui le démontage s’est annoncé plus aisé.
Quant à l’Opéra de Monaco, l’innovation fut poussée beaucoup plus loin avec la présence de robots dans le spectacle. Death and The Power de Tod Machover s’est inspiré d’œuvres de science-fiction en permettant à ces automates connectés de sa balader librement sur scène.
Retour en France avec l’Opéra de Rennes ! Depuis 2009, celui-ci développe des dispositifs digitaux pour surprendre ses spectateurs. Une réplique numérique de l’opéra a ainsi été créée pour permettre aux internautes du monde entier de découvrir les coulisses et l’architecture de l’édifice. En 2011, Le Mariage de Figaro de Beaumarchais fut diffusé à travers ce dispositif : les spectateurs étaient présents sous forme d’avatars et pouvaient assister à la représentation depuis un appareil connecté. L’Opéra de Rennes s’est d’ailleurs réjoui de cette première mondiale et a décidé de construire son identité autour du spectacle vivant et numérique.
Plus généralement, la France s’est montrée curieuse et novatrice envers les nouvelles technologies. La plupart des salles sont aujourd’hui équipées de vidéoprojecteurs permettant de rendre les décors plus vivants, notamment avec le mapping vidéo : une technique de projection sur-mesure qui s’adapte à tous les objets sur scène. Si les hologrammes sont encore très rares pour le moment, quelques salles y travaillent afin de créer un univers futuriste dans cet art multi centenaire.
La crise sanitaire a considérablement impacté le monde du spectacle. Dans l’incapacité de diffuser leurs représentations, les opéras ont dû s’adapter en utilisant le numérique comme principal canal de diffusion. Bien loin d’être uniquement une solution éphémère, le streaming s’impose désormais dans le monde lyrique comme une offre à part entière qui vient compléter les événements physiques.
Propulsée par la fibre optique, le numérique vient également faire son entrée sur scène : programmation des sons et lumières, impression des décors, robots, service en salle… Le digital offre des nouvelles opportunités aux opéras qui, malgré les siècles, ne cessent de se réinventer.
Charlotte B.